- Dis Papa, pourquoi moi j'ai pas de maman ?

L'homme s'interrompit et regarda l'enfant blonde qui venait de s'exprimer. Du haut de ses quatre ans, elle le regardait le plus sérieusement avec ce regard qui semblait lui dire "Je te préviens, n'essaye pas de me sortir une réponse bidon, ça ne prend pas avec moi". Un sourire lui vint aux lèvres. Il couvrit la casserole, baissa le feu et s'assit sur un tabouret proche avant d'inviter la fillette à venir s'installer sur ses genoux. Il garda un instant le silence, jouant avec une mèche des doux cheveux blonds. Le petit visage qui attendait sa réponse lui en rappelait un autre, plus âgé, qu'il avait aimé de toutes ses forces.

- Tu as une maman Diane. Comme tous les autres enfants. La seule différence, c'est qu'elle n'est pas là, près de toi.
- Elle est où alors ? Pourquoi elle est pas là ?

Il soupira. Comment expliquer la mort à une enfant de cet âge ? Pire encore, comment lui expliquer que c'était en lui donnant la vie que sa mère était partie ? Une part de lui se refusait à lui sortir des banalités tout juste destinées à reporter le moment de lui dire la vérité. Mais l'autre part, celle du père, chérissait bien trop son innocence trop tôt. Alors que faire ? Mentir ? Esquiver la question ?

- Diaaaane ? Tu es là ? Oh bonjour Monsieur Richardson. Est-ce que Diane peut venir jouer ?

Il acquiesça d'un sourire et l'enfant brune entraîna son amie à sa suite. Les explications venaient d'être remises à une autre fois. Il faudrait bien qu'il lui dise un jour mais pas encore, pas tout de suite. Sans un mot, il la regarda sortir des cuisines. Sa petite fille, sa déesse, sa Diane que sa mère, passionnée de mythologie, avait voulu fière et indépendante, comme la déesse chasseresse.

L'adolescente tourna la page. Ses yeux azur parcouraient les lignes à une vitesse impressionnante, dévorant les mots avec délectation. Encore une page. Près d'elle, un livre de partitions nouvellement arrivé attendait qu'elle détourne les yeux de son roman pour être installé sur le piano. Ayant très tôt montré son intérêt pour l'instrument que Julia pratiquait depuis son plus jeune âge, elle avait eu la chance de pouvoir profiter du professeur de la jeune héritière. Mais elle était loin d'égaler son amie en virtuosité. Et en toute autre chose selon elle. Diane se trouvait moins belle, moins intelligente, moins douée, moins intéressante. Ce genre de comparaison faisait hurler la jeune Capulet qui ne supportait pas qu'elle se dénigre ainsi.
Finalement, elle posa son livre et se leva. Le miroir de sa chambre lui renvoya l'image d'une adolescente mince au visage doux et aux grands yeux bleus. Elle détourna le regard. Elle n'aimait pas cette petite fille fragile que lui montrait son reflet. Avec le temps, elle avait apprit à jouer de cette apparence innocente mais ne l'en appréciait pas plus pour autant. Ce n'était pas tant qu'elle se trouvait laide. Sans être belle comme Julia, elle se savait au moins jolie. Non, c'était l'impression qui se dégageait d'elle qui lui déplaisait. Avec un soupir, elle sortit.
L'air vicié de Monopolis l’accueillit. Malgré la pollution grandissante, elle aimait cette ville qui l'avait vu naître, cette ville où il ne se passait jamais rien malgré les éternelles querelles opposant les Capulet aux Montaigu. Cette ville nouvelle, moderne qui ne laissait personne indifférent. Certains considéraient, comme Julia, qu'elle était bien loin de la modernité. D'autres qu'elle était une atteinte la nature avec ces souterrains à l'air conditionné. Diane quant à elle, restait mitigée. Les deux idéologies qui se battaient depuis des années déjà lui semblaient toutes deux extrémistes. Elle s'assit sur un banc, seule, pensive. Mais avait-elle seulement le choix de ses opinions, de son camp ? Son seul lien avec la famille la cataloguait d'office comme une moderniste depuis longtemps...

- Je l'aime, je l'aime !
- Qui aimes-tu si fort ?
- Je l'aime comme je n'ai jamais aimé !
- Je te crois Julia, je te crois, mais qui ?
- Ryan.
- Ryan ? Mais quel Ryan ?
- Y'a t-il d'autres Ryan dans cette ville qui méritent d'être aimés !?
- Bien sur, tous les Ryan méritent d'être aimés par toi.
- Ne te moques pas Diane. Il n'y en a qu'un. Et il est des Montaigu.
- Des Montaigu ? Mais sais-tu qui il est ?
- Celui que j'aime. Que j'aime d'amour...