MONTEZ-TOUS AUX BARRICADES, LA FIN EST PROCHE!
Sadia, ce n’est pas mon vrai nom. Un nom d’emprunt, le nom d’une autre. Moi, je ne suis personne; un vent, un bruit; une tornade au plus, une averse au moins. Qui suis-je, me demanderez-vous? Eh bien je suis une femme, ou un homme, qui sait? J’aime bien le mystère, laisser courir les rumeurs et accoucher des idées les plus folles l’imagination débordante de mes compatriotes. Ça amuse la populace grouillante. Et puis, alors qu’ils s’amusent tous à parler dans mon dos, je joue dans le leur. Ils ne savent rien de ce que je fais et c’est très bien comme ça. Toujours intrigué? Petit veinard, je vais tout te dire!
Je suis ta voisine, j’ai 33 ans et toutes mes dents. M’adonnant au terrorisme, un métier peu orthodoxe, je vous l’accorde, ma vie ne tient qu’à un fil. C’est là toute l’essence de mon existence, cette excitation, cette incertitude. Et puis ce contrôle que ça me donne, voilà quelque chose de grisant. Impopulaire, malmenée et même humiliée à l’école, me voilà terreur de Monopolis. Il rie bien, le gros Bédard, maintenant que je peux lui faire sauter sa maison de perdant. Mes aspirations sont obscures et mon parcours l’est tout autant. Maison close ou maison de correction, voilà toute la question. Personne ne sait d’où je viens, personne ne connait mes parents. Je n’ai rien à perdre, tout à gagner. Une ville sens dessus-dessous se meurt, ma ville. J’ai pris les armes et je m’en donne à cœur joie. S’il faut tout faire éclater, je le ferai, même si de mes dents je dois retirer la goupille de ma grenade. Il n’y a pas de trop grands sacrifices pour mes idéaux.
Je suis éduquée, moi messieurs! Oui, je sais faire des maths et puis je connais ma géographie. Ridicule, vous croyez? Non, c’est d’ailleurs mon origine. La genèse d’une vermine instruite par un système corrompu et sale. Pas moyen de s’en sortir, sans façon de m’enfuir, je mourrais à petits feux sur les bancs d’école. Heureusement, je les ai faits, mes devoirs. Maintenant, je peux faire tout ce dont j’ai toujours rêvé : écrire l’histoire de Monopolis à grands traits rouges. L’écrire dans le marbre et ne jamais l’oublier. Extrémiste, oui bien-sûr! Ce terme a une bien mauvaise réputation. À mes yeux, il faut être extrémiste dans la vie pour avoir ce qu’on veut. En faisant des compromis, on meurt. On se pervertit, on se perd. Et qui gagne là-dedans? C’est eux, les merdeux de politiciens pseudo-géniaux qui n’ont rien d’autre à faire que de se remplir les poches avec l’argent des pauvres.
SORTEZ TOUS DE VOS CACHETTES, BRANDISSEZ VOS POINGS!
Les conventions, ça me tuent. Déjà à la petite école, je trouais mes bas, changeais de chemise. Je n’étais pas comme les autres. Ni un homme, ni une femme, j’étais prise au piège dans un corps qui n’était pas le mien. Une entité revendicatrice, voilà ce que je suis. Ambigüité, mère de curiosité. Je provoque par ma froque, je divertie par mes habits, mais je ne suis pas un bouffon. Je suis un homme qui s’habille en femme et puis une femme qui pense comme un homme. Autant vous dire que je suis à tout! Vous ne savez pas qui je suis. Je suis tout un cas, un sale cas. Je suis il, je suis elle. Je suis Sadia.
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En pleure, la petite créature regarde ses parents se séparer lentement, mais rester sous le même toit. Sans bagarre ni coup de poing, la distance de leurs cœurs aura raison d’eux. Comme des automates, ils vivent sans vivre, respirent sans goûter l’air. Ils mangent la même chose qu’hier et que demain. Programmés au quart de tour, ils ne sont plus libres, comme pris dans l’engrenage de la vie monotone des adultes. Et la machine à images qui diffusait toutes ces atrocités. Elle les a vues, la petite chose. Elle le sait, elle le sent. Rien ne va plus, tout doit changer. Mais les enfants ne peuvent rien dans ce monde de grands, il faut grandir, mûrir, apprendre et puis BANG! C’est notre tour de leur jouer un sale coup. Toutes ces bombes qui tombent, elles creuseront nos tombes.
Enfilant ces bas-collants, l’humanoïde jette un regard pas la fenêtre embuée par la pluie. Il tonne sur Monopolis et sur son cœur. Sa vie n’a plus de sens et son existence n’a plus son utilité dans ce monde merdique qu’est sa ville natale. Ce soir, elle rencontre des amis dans un café. Ce soir, elle va refaire le monde. Ce soir, elle va retrouver Johnny. Elle n’est plus cette chose, elle n’est plus Sadia. Ce soir, elle est une étoile noire. Gare à toi, Monopolis. Les choses vont changer et tu ne te reconnaîtras plus.